La présente série s’intéresse aux différentes étapes d’une « due diligence » immobilière portée dans le cadre d’une transaction relative à un bien immobilier résidentiel. Etant précisé que chaque « due diligence » doit être adaptée en fonction de la transaction en cause.
L’objectif d’une « due diligence » est d’identifier le bien immobilier, les réglementations applicables à celui-ci (normes de droit public, les conventions de droit privé) et les risques juridiques entourant la transaction.
Une telle « due diligence » permet d’adapter la structure de la vente immobilière en fonction des circonstances et des intentions respectives des parties.
Le présent chapitre donne un aperçu non-exhaustif de quelques aspects des restrictions de droit public (fédéral et cantonal) tant le droit fédéral que le droit cantonal en comportent de nombreuses. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas toujours aisément identifiables pour un profane dans la mesure où elles ne ressortent pas toutes d’un registre public. C’est pourquoi il est vivement recommandé de se faire assister d’un professionnel lors de l’acquisition d’un bien immobilier constituant souvent l’investissement d’une vie.
A.Quelques restrictions ressortant du droit fédéral
1.La loi sur le droit foncier rural
A titre préliminaire, nous aborderons de manière succincte les restrictions découlant du droit foncier rural qui soumet l’acquisition à des conditions strictes. En effet, la loi sur le droit foncier rural[1] (« LDFR ») a pour but (i) d’encourager la propriété foncière rurale et en particulier de maintenir des entreprises familiales comme fondement d’une population paysanne forte et d’une agriculture productive, orientée vers une exploitation durable du sol, ainsi que d’améliorer les structures; (ii) de renforcer la position de l’exploitant à titre personnel, y compris celle du fermier, en cas d’acquisition d’entreprises et d’immeubles agricoles; (iii) de lutter contre les prix surfaits des terrains agricoles (art. 1 al. 1 LDFR).
La LDFR contient ainsi des restrictions sur (i) l’acquisition des entreprises et des immeubles agricoles; (ii) l’engagement des immeubles agricoles et (iii) le partage des entreprises agricoles et le morcellement des immeubles agricoles.
Ainsi, l’Etat soumet à autorisation l’acquisition des entreprises et des immeubles agricoles. L’autorisation peut être délivrée si l’acquisition est faite par un exploitant à titre personnel, à un prix non surfait, dans le rayon d’exploitation de l’entreprise de l’acquéreur.
2.La loi sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger
La législation en matière d’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger[2] (« LFAIE ») contient une série de restrictions à l’acquisition de la propriété immobilière ou à celle de droits assimilés, par des personnes à l’étranger, soit des personnes qui ne bénéficient pas du droit de s’établir en Suisse ou, pour les personnes ressortissantes des Etats membres de la communauté européenne et de l’Association européenne de libre-échange (« AELE »), celles qui n’ont pas leur domicile légal et effectif en Suisse.
L'assujettissement d'un acte juridique au régime de l'autorisation est soumis, en principe, à trois conditions cumulatives : (i) L'acquéreur doit être une personne à l'étranger au sens de la LFAIE ; (ii) L'objet de l'acte juridique doit concerner un immeuble assujetti ; (iii) Le droit acquis doit être assimilé à une acquisition d'immeuble en vertu de la LFAIE.
Même si les trois conditions susmentionnées sont remplies, d'autres exceptions à l'assujettissement au régime de l'autorisation peuvent entrer en considération.
Lorsqu'une acquisition immobilière est assujettie au régime de l'autorisation et lorsqu'il n'y a pas d'autres exceptions, l'inscription au registre foncier est seulement possible moyennant l'octroi d'une autorisation. Il en va de même pour l'exécution d'un acte juridique assujetti au régime de l'autorisation sans mutation au registre foncier, par exemple pour le transfert d'actions d'une société immobilière.
Une autorisation peut être accordée pour une acquisition assujettie au régime de l'autorisation sous certaines conditions et assortie de charges.
Il sied de préciser que le droit cantonal peut prévoir des motifs d'autorisation pour l'acquisition de logements de vacances et d'appartements dans un apparthôtel, pour une résidence secondaire et pour des logements locatifs à loyers avantageux et modérés (construction de logements à caractère social).
Pour plus de détails sur ce thème, nous vous renvoyons à la première Newsletter de la série.
3.La loi sur les résidences secondaires
La loi fédérale sur les résidences secondaires[3] (« LRS »), entrée en vigueur le 1er janvier 2016 fait obligation à toutes les communes de Suisse d’établir une fois par an un inventaire des logements.
Dans les communes ayant dépassé le quota de 20%, il est en principe exclu d’autoriser toute nouvelle résidence secondaire. La LRS ne prévoit toutefois pas une interdiction absolue. La construction de résidences secondaires utilisées comme logements affectés à l’hébergement touristique qualifié est ainsi admise. Les modalités sont régies par la loi et par l’ordonnance y afférente et les commentaires relatifs à celle-ci.
Pour les communes qui comptent plus de 20% de résidences secondaires, aucune nouvelle résidence secondaire ne peut être autorisée (art. 6 al. 1 LRS). Ainsi, dès la délivrance d’une nouvelle autorisation de construire, l’autorité cantonale compétente soumet son autorisation à une restriction d’utilisation du bien fonds (art. 7 al. 3 LRS), et requiert le registre foncier de mentionner ladite restriction (art. 7 al. 4 LRS).
B.Quelques restrictions découlant du droit cantonal
1.Le droit de préemption de l’Etat et des communes
Le droit de préemption conféré par la loi générale sur le logement et la protection des locataires[4] (« LGL ») aux communes à pour but de permettre à ces dernières d’encourager la construction de logements d’utilité publique (art. 1 ss LGL). La jurisprudence fédérale a de façon générale jugé que le droit de préemption conféré par la LGL était conforme à la Constitution.
Le droit de préemption conféré par la LGL aux communes à pour but de permettre à ces dernières d’encourager la construction de logements d’utilité publique et d'améliorer la qualité de l'habitat, par le biais d'acquisitions de terrains, de financements de projets de constructions et de contrôle des loyers (art. 1 LGL).
La loi instaure à cet effet un droit de préemption et d'expropriation en faveur de l'Etat et des communes aux fins de construction de logements d'utilité publique (art. 2 LGL). Ce droit s'applique notamment aux biens-fonds situés en zone de développement (art. 4 LGL). Selon l'art. 4 LGL, le propriétaire qui aliène ou promet d'aliéner avec droit d'emption soumis au droit de préemption de l'Etat doit en aviser immédiatement le Conseil d'Etat et la commune lors de la passation de l'acte notarié ; le propriétaire et l'acquéreur sont entendus. Conformément à l'art. 5 LGL, le Conseil d'Etat décide, dans les 60 jours, s'il renonce à exercer son droit, s'il entend acquérir le bien-fonds au prix et conditions fixés dans l'acte, ou s'il offre de l'acquérir aux prix et conditions fixés par lui; dans ce dernier cas, si l'offre n'est pas acceptée, il peut recourir à la procédure d'expropriation conformément à l'art. 6 LGL. Si le Conseil d'Etat renonce à exercer son droit de préemption, la commune dispose ensuite des mêmes prérogatives.
En pratique, il est de plus en plus fréquent que l’Etat, respectivement la commune, s’immisce dans l'achat et active le droit de préemption pour acquérir le bien à la place de l’acheteur si elle estime que l’acquisition par un tiers va à l’encontre de l’objectif de densification. L’acquisition peut se faire au même prix que celui offert par le tiers acquéreur ou alors à un prix inférieur à celui offert si l’Etat, respectivement la commune, estime que le prix offert est supérieur à celui déterminé en application des pratiques administratives.
Lors de l’acquisition ou de la vente d’un bien immobilier sis en zone de développement, il convient dès lors de garder à l’esprit le droit de préemption de l’Etat, respectivement de la commune, dans l’organisation des démarches inhérentes à l’acquisition d’un bien lesquelles peuvent être considérablement impactées par l’exercice du droit de préemption.
2.La loi sur les démolitions, transformations et rénovation de maisons d’habitation
La loi sur les démolitions, transformations et rénovation de maisons d’habitation[5] (« LDTR ») a pour but de préserver l’habitation et les conditions de vie existantes en restreignant notamment l’aliénation des appartements destinés à la location se trouvant dans une catégorie de logements en pénurie (art. 1 al. 1 et al. 2 lettre c LDTR, 25 LDTR et 39 LDTR).
L’art. 39 al. 1 LDTR pose le principe selon lequel l’aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation, jusqu’alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie.
Le département refuse l’autorisation lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).
Cela étant, l’art. 39 al. 3 LDTR prévoit qu’afin de prévenir le changement d’affectation progressif d’un immeuble locatif, le désir d’un locataire, occupant effectivement son logement depuis 3 ans au moins, d’acquérir ledit logement n’est présumé l’emporter sur l’intérêt public que si les conditions suivantes sont réunies : 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition; dans ce cas cependant, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d’acheter leur appartement ou de partir.
Le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci :
- a) a été dès sa construction soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’article 8A de la loi générale sur les zones de développement, du 29 juin 1957;(art. 39 al. 4 LDTR)
- b) était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée;
- c) n’a jamais été loué ;
- d) a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la présente loi (art. 39 al. 4 LDTR).
A noter que selon l’art. 39 al. 5 LDTR, l’autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d’assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d’habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu’alors offerts en location, avec pour condition que l’acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l’obtention d’une autorisation individualisée au sens du présent alinéa.
En réglementant le droit ou non d’aliéner des appartements, le législateur a voulu empêcher que des locataires doivent quitter leur logement suite à des résiliations de bail afin que leur bailleur puisse vendre leur appartement à un prix élevé à un investisseur, contraignant celui-ci à louer l’appartement à un loyer plus élevé pour rentabiliser son investissement.[6] Le législateur a aussi souhaité prévenir le changement d’affectation progressif des immeubles locatifs qui perdent leurs logements à louer. La transformation en PPE et la vente séparée des appartements peuvent ainsi entraîner le retrait de ceux-ci du marché locatif.[7]
L’aliénation d’appartements loués est considérée comme un changement d’affectation (art. 3 al. 3 lettre c LDTR).
Ainsi, l’aliénation des appartements n’est pas interdite. Elle est uniquement soumise à autorisation.
Pour qu’une alinéation soit soumise à autorisation, il faut que les objets visés par l’art. 39 LDTR remplissent les conditions cumulatives suivantes (art. 25 et 39 al. 1 LDTR et11RDTR):
- Se trouver dans des bâtiments soumis à la LDTR, i.e dans une zone soumise à cette loi;
- Etre des appartements ;
- Etre affectés à l’habitation ;
- Faire partie d’une catégorie de logements où sévit la pénurie ;
- Etre destinés à la location.
Nous n’analyserons pas plus en détails les conditions susvisées dès lors qu’une telle analyse nécessiterait une newsletter dédiée spécifiquement à l’application de cette loi. Nous attirons cependant l’attention du lecteur sur la complexité de cette dernière dont les effets vont au-delà de la nécessité de requérir une autorisation d’acquérir le bien immobilier.
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De manière générale, il faut garder à l’esprit que qu’il existe d’innombrables autres restrictions de droit public tant au niveau fédéral que cantonal (notamment ressortant du droit de l’environnement ou encore de l’aménagement du territoire) qu’il nous a semblé importants de sélectionner les sujets les plus saillants.
[1] RS 211.412.11.
[2] 211.412.41.
[3] RS 702.
[4] RS GE I 4 05.
[5] RS GE L 5 20.
[6] DEFAGO GAUDIN Valérie, La LDTR - Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation immeubles de logements et appartements, 2014, pp. 403-404.
[7] DEFAGO GAUDIN Valérie, La LDTR - Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation immeubles de logements et appartements, 2014, p. 404.
Me David Bensimon
Associé
Rhône Avocat-e-s
Spécialiste FSA en droit de la construction et de l'immobilier
et
Me Mélissa Palin
Collaboratrice
Rhône Avocat-e-s
LL.M - MBL - Université de Genève
Article 12.2023